LA DISCRIMINATION SUR LE LIEU DE TRAVAIL (DISCRIMINATION IN THE WORKPLACE)

26 mars 2009 – Villa Gillet

Séminaire autour de Randall Kennedy, professeur de droit, Université de Harvard, Etats-Unis

A l’occasion de sa venue à Lyon, le professeur Randall Kennedy a été invité par l’Institut Aspen France à débattre de la question de la discrimination sur le lieu de travail avec une vingtaine de personnes confrontées à cette réalité : directeurs des ressources humaines, sociologues, responsables politiques ou représentants d’organismes publics chargés de promouvoir l’égalité de traitement, membres d’associations travaillant à lutter contre les discriminations.

 D’entrée de jeu, le professeur Randall Kennedy a souligné que la discrimination n’était pas toujours mal intentionnée. Lorsque les compagnies aériennes n’embauchaient autrefois que des hôtesses de l’air et pas de stewards, c’était en réponse aux attentes de la clientèle, qui à l’époque était en majorité masculine. De même, les discriminations contre les femmes étaient d’abord conçues pour les protéger, en leur évitant de devoir exécuter certaines tâches pénibles ou d’être soumises à des horaires incompatibles avec une vie de famille, comme en cas de travail de nuit.

Le danger des bonnes intentions et de l’auto-censure

De la même manière, en l’absence de toute intention malveillante, l’autocensure vient nuire à la diversité : beaucoup de personnes « issues de la diversité » ne se portent tout simplement pas candidates à certains postes, persuadées, à tort ou à raison qu’elles n’ont aucune chance. C’est comme s’il elles avaient intégré le fait qu’elles n’avaient aucune légitimité à prétendre à certaines fonctions. « Il faudra travailler deux fois plus pour gagner moitié moins ».

Le fonctionnement du marché de l’emploi est en cause : il exclut souvent les jeunes, les femmes, les seniors qui trouvent des embauches par d’autres canaux informels auxquels tous n’ont pas accès.

Le moment de l’embauche est un moment clé, mais tout ne s’arrête pas une fois la personne embauchée. Pour Patrice Schoendorff, médecin, délégué à la diversité du parti « La Gauche moderne », parmi ceux qui réussissent tout en étant issus de minorités certains auront toujours l’impression d’être illégitimes et auront besoin de prouver leur compétence plus que les autres.

Fabrice Lamy, directeur de la sécurité du groupe Kéolis-Lyon, a témoigné dans le même sens. Les efforts accomplis par la société de transports en commun Kéolis pour que son personnel reflète la société dans son ensemble se heurtent à l’absence de candidatures de certaines communautés et à des préjugés persistants contre des femmes conducteurs.

La nécessité d’une approche globale

La promotion de la diversité requiert une approche globale. La diversoté apporte beaucoup à l’entreprise, en termes de croissance et de développement ; encore faut-il former les managers qui doivent la gérer au quotidien.

Pour Chantal Sabatié–Garat, fondatrice de l’association « Equitus » qui cherche à promouvoir l‘emploi équitable, il est essentiel de recruter sur des critères exclusifs de compétence : « discriminer, c’est se priver de ressources ». C’est aussi l’avis de Soumia Malinbaum, chargée, au sein du MEDEF, d’encourager la promotion de la diversité et pour qui la discrimination est « anti-économique ».

Faut-il recenser l’origine ethnique ?

Faut-il recenser l’origine ethnique ? Le débat a lieu aussi aux Etats-Unis. Pour Randall Kennedy, c’est un élément d’information qui peut permettre de faire avancer les choses. La question est de savoir comment on établit ces catégories et comment ces éléments sont ensuite utilisés par les autorités en place.

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Randall Kennedy

Moungi Es Sassi, chargé de mission à la ville de Lyon auprès de Najat Belkacem, responsable de la diversité au secrétariat national du Parti socialiste, et qui se déclare être « plus handicapé qu’Arabe », insiste sur la responsabilité individuelle : « nous pouvons tous agir individuellement là où nous sommes et ne pas tout attendre de l’extérieur. » Pour lui, beaucoup de progrès ont été réalisés pour promouvoir la diversité. C’est aussi l’impression de Marisa Lai Puiatti, directrice l’antenne lyonnaise de la HALDE, pour qui on peut mesurer les performances et voir où sont les marges de progression. La HALDE aide les victimes de discrimination à constituer un dossier pour faire valoir leurs droits.

La question est de gérer la discrimination plutôt que de promouvoir la diversité, qui n’est qu’un indicateur de résultat.

Le rôle de l’opinion publique

Le temps joue-t-il en faveur de la diversité ? se sont demandé les participants. Plutôt oui, mais « le temps tout seul ne fera rien », il faut une volonté de changement pour que les choses bougent.

Pour Randall Kennedy, les actions en justice sont importantes. Cependant, souligne-t-il, tout d’abord il est impossible de porter plainte contre une représentation négative de certaines catégories de personnes. Surtout, dit-il, il ne faut pas oublier le rôle énorme de l’opinion publique : aux Etats-Unis, dit-il, à force de voir dans une série télévisée particulièrement populaire un héros noir, sympathique, tout le monde s’est habitué à voir un Noir en position de commandement.

« Le tribunal de l’opinion publique » exerce aujourd’hui le véritable pouvoir », a conclu le professeur Kennedy.

 

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