COMMENT REDRESSER LA POSITION DE LA FRANCE DANS LE CLASSEMENT PISA ?

« Comment redresser la position de la France dans le classement PISA ? » : cette question a fait l’objet d’une conférence internationale de l’institut Aspen le jeudi 13 décembre (17h-20h) à Paris.

Le programme PISA (acronyme pour « Programme for International Student Assessment » en anglais, et pour « Programme international pour le suivi des acquis des élèves » en français) est un ensemble d’études menées par l’OCDE et visant à la mesure des performances des systèmes éducatifs des pays membres et non membres. Leur publication est triennale. PISA évalue l’acquisition de savoirs et savoir-faire essentiels à la vie quotidienne au terme de la scolarité obligatoire (lecture, culture mathématique, culture scientifique). Cette enquête est un outil unique en son genre qui permet aux gouvernements d’élaborer leurs politiques publiques afin d’améliorer l’ensemble des compétences des élèves dans les matières clés, dans leurs facultés d’analyse, de raisonnement et de communication.

Auparavant classée parmi les pays les plus performants, la France est récemment descendue dans le groupe des « moyens ».

Au cours de la conférence organisée par l’institut Aspen, trois tables rondes consécutives ont permis de s’interroger sur les politiques publiques engagées par la France et identifier les mécanismes et dynamiques à mettre en œuvre pour la réussite du plus grand nombre.

Intervenants :

Andreas Schleicher, Directeur Général adjoint de l’OCDE, en charge de l’Education ; Christian Forestier, Inspecteur général de l’Éducation nationale et membre du comité de pilotage de la Concertation sur la refondation de l’école (depuis juillet 2012) ; Michel Quéré, directeur de la Direction de l’Evaluation, de la Prospective et de la Performance (DEPP) du Ministère de l’Education nationale ; Jean-Michel Blanquer, directeur général de l’enseignement scolaire (DGESCO) au Ministère de l’Education nationale ; Nathalie Mons, membre du comité de pilotage de la Concertation sur la refondation de l’école, professeur de sociologie à l’université de Cergy-Pontoise, ancienne experte auprès de l’OCDE pour PISA ; François Taddéi, directeur du CRI, Centre de recherche interdisciplinaire à Paris, un laboratoire de recherches sur l’avenir de l’éducation [à confirmer] ; Hervé Glasel, neuropsychologue, directeur du Centre de Référence pour l’Evaluation Neuropsychologique de l’Enfant (CERENE) ; Peter Gumbel, journaliste anglophone basé à Paris depuis 2002, enseignant à Sciences Po et auteur de On achève bien les écoliers (Grasset).

Débat animé par Louise Tourret (France Culture).

La conférence a permis de faire apparaître un consensus sur les points suivants :

  • La performance est insuffisante et ne s’est pas substantiellement améliorée depuis la première enquête PISA en l’an 2000, et ne pourra pas s’améliorer avant une ou deux décennies étant donné l’effet ;
  • Les élèves français en savent beaucoup mais ont tendance à être moins performants que d’autres dans l’utilisation et l’application de leurs connaissances ;
  • Le malaise à l’école est généralisé en France (enfants, enseignants, parents) ;
  • Le changement viendra de ce qui se passe effectivement en classe et non de grands projets théoriques. La priorité est d’évacuer de la classe les méthodes qui ne marchent pas (l’ère est au pragmatisme) ;
  • Il est nécessaire de s’interroger sur la mécanique cérébrale propre à chaque individu et de mieux connaître les mécanismes d’apprentissage ;
  •  Il semble également prioritaire d’améliorer l’interface complexe entre praticiens et enseignants/chercheurs en matière d’éducation ;
  • La mise en œuvre des réformes sera progressive, il est important de ne pas vouloir « tout, tout de suite », ni de figer les choses dans le temps ;
  • Aider les enfants à ne pas utiliser les informations inutiles (trier, hiérarchiser, comprendre la méthode…) ;
  • Pour se réformer, l’école doit accepter des regards extérieurs à l’institution et accepter le droit à l’erreur (tant de la part des enseignants que des élèves) ;
  • Les moyens financiers sont là. Les problèmes (et les solutions) sont plutôt d’ordre organisationnel, et sont aussi d’ordre humain plus que technologique : ni l’argent ni le numérique ne font des miracles tant que les enseignants ne sont pas entraînés dans une dynamique de réforme.
  • Il paraît urgent de développer des « écosystèmes d’apprentissage coopératif ».

La conférence a également permis de faire apparaître des divergences sur les points suivants :

  • L’approche du calendrier des réformes varie selon les pays. Certains pays réussissent à réaliser beaucoup de réformes dans un calendrier assez rapide (Allemagne, Pologne, Etats-Unis…).
  • Une distinction se manifeste deux méthodes : d’un côté une approche fondée sur l’autonomie de l’enseignement et l’empirisme, de l’autre une approche plus orientée vers la formation des enseignants à la pédagogie et l’échange entre la recherche et les pratiques des enseignants.

Deux modèles de réforme apparemment opposés se font face :

  • via la voie hiérarchique et centralisée ; du ministère vers toutes les classes et toutes les écoles
  • via la prise d’initiatives locales par les acteurs opérationnels, l’évaluation des initiatives et la diffusion par le partage.

Particularismes du système français :

  • En France, les réformes dépendent fortement des majorités qui changent (apparente fatalité du temps court alors que l’école a besoin de temps long) ;
  • 17% d’une classe d’âge sans diplôme, une caractéristique française ;
  • Excessive centralisation et hiérarchisation en France ;
  • Une culture élitiste basée sur les « notations sanctions » ;
  • En France, les jeunes qui sortent sans diplôme sortent sans qualification : on note de ce point de vue une terrible « irréversibilité française » ;
  • Succès du collège unique mais maintien de fortes inégalités géographiques ;
  • peu ou pas assez de partage et d’échanges entre enseignants ;
  • La valeur de la France sur l’école pré-élémentaire demeure un atout capital.

Particularismes français en termes de performances scolaires :

  • taux élevé de non réponses aux questions de l’enquête Pisa ;
  • très faible taux de bien-être à l’école en France en comparaison internationale
  • trop de jeunes Français manifestent un faible appétit pour la lecture, ce qui débouche sur une capacité insuffisante à capter le sens d’un texte…
  • taux élevé d’anxiété, en particulier dans le domaine des mathématiques,
  • une des plus grosses disparités de performance entre les meilleurs (bac général) et les moins bons,
  • un des moins bons taux (négatif) de correction des inégalités sociales d’origine.

La conférence a été introduite par Martine Bizouard-Hayat, membre du directoire (Aspen France).

Les conclusions ont été livrées par Renaud Guidée, membre du directoire (Aspen France). Les voici :

“En conclusion, la conférence a mis en évidence une série de défis pour l’Ecole, faisant écho à certains défis que doivent relever les élèves.

  • La démarche scientifique et expérimentale

L’analyse scientifique est consubstantielle au classement PISA. S’il convient de ne pas s’y limiter (l’Education relevant par essence du champ politique, des préférences collectives), il apparaît essentiel d’en tirer le meilleur parti. Adopter une démarche scientifique dans l’action publique suppose de donner une place à l’expérimentation.

La mise en œuvre d’une approche expérimentale doit néanmoins surmonter un premier obstacle : pas davantage qu’à l’élève, le droit à l’erreur ne semble reconnu à l’Ecole. Sans doute faut-il y voir le reflet des attentes que suscite l’institution et des responsabilités qu’elle porte.

Par ailleurs, la liberté pédagogique peut constituer un frein à la mise en place des réformes. Oui au volontariat (qui peut permettre à l’expérimentation), oui à la concertation (qui facilite l’appropriation)… mais oui aussi à l’autorité. Pour concilier ces impératifs, c’est toute l’importance du management qui est ici soulignée – dans la conduite des politiques publiques mais aussi à l’échelle de chaque établissement.

Enfin, l’expérimentation, avec la part de tâtonnement qu’elle implique, peut heurter notre impatience : elle ne satisfait pas à l’exigence de résultats observables immédiats. Ce conflit se rattache à la question plus large, pour l’éducation, de la temporalité.

  • Le rapport au temps

De la précocité des apprentissages fondamentaux pour l’enfant (à commencer par la socialisation, dès la première année, et le langage, dès la deuxième année) découle l’importance, pour le système éducatif, d’agir tôt. A cet égard, le fait que le maillon faible de l’enseignement français soit l’école primaire (tandis qu’il est généralement admis qu’en Allemagne, il se situe à l’étape du collège) est particulièrement préoccupant.

Alors même qu’elle constitue intrinsèquement une préparation de l’avenir, l’éducation a toujours, pour les responsables de politiques publiques, une saveur rétrospective : en raison de l’effet de cohorte, les résultats observés sur les élèves d’aujourd’hui sont le fruit de décisions anciennes, héritées. Toutefois, les réformes peuvent avoir des effets rapides, comme l’illustrent les progrès enregistrés par la Pologne, la Corée du Sud ou le Brésil lors des dernières évaluations PISA.

  • L’ouverture à l’autre, à la société, au monde

La population française représentant moins de 1% de l’humanité, il est justement permis de penser que c’est à l’étranger que nous pourrons découvrir 99% des innovations et expériences qui nous seront utiles. Pourquoi ne pas, par exemple, s’inspirer du programme existant en Inde qui vise à stimuler les vocations d’entrepreneur parmi les élèves qui « décrochent » de l’école ? En France, 150 000 jeunes sortent chaque année du système éducatif sans diplôme. Au-delà du système de reconnaissance des qualifications (demeurant, jusqu’au baccalauréat, déconnecté du diplôme, ce qui pouvait être adapté à une situation de plein emploi, mais ne l’est plus face au chômage structurel), c’est plus fondamentalement l’adéquation des compétences aux besoins du monde du travail qui est en jeu.

Il s’agit, dans une dynamique prospective, de former non aux emplois d’hier ni même d’aujourd’hui, mais aux emplois de demain, dans un monde en perpétuelle évolution qui requiert d’être capable de changer de métier. A cet égard, les évaluations PISA mettent en lumière les besoins de progression des élèves français lorsqu’il s’agit d’appréhender la complexité du monde, d’aborder des situations non familières, de répondre à des questions ouvertes.

Dans cette perspective, de même que la recherche biomédicale a bénéficié de l’apport de non-médecins, tel Pasteur, le système éducatif gagne à s’imprégner de contributions diverses venant enrichir le facteur humain qui est en son cœur, l’enseignant. Le renforcement de l’interactivité de l’enseignement est également une priorité. Plusieurs expériences ont démontré qu’il était particulièrement motivant pour des élèves d’être appelés à communiquer les conclusions de leurs travaux, par exemple en les faisant partager sur Wikipedia, et ont mis en évidence la corrélation entre plaisir de lire et performance scolaire”.

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