Visioconférence Belles Feuilles avec Christophe Barrand

A l’occasion de la réunion Belles Feuilles du 22 mars et la sortie de son livre « Monsieur Le Proviseur » (Grasset, 2021), l’Institut Aspen France et Henner ont eu le plaisir d’accueillir Christophe Barrand, Proviseur et auteur, pour une discussion sur le thème : « Éducation : Peut-on encore faire réussir les élèves ? ».

Pour notre invité, la réussite des élèves est un sujet compliqué qui l’anime depuis plus de 40 ans. Il explique d’ailleurs que sa vie professionnelle a été un peu une thérapie par rapport à son propre vécu dans le système scolaire.

Pour lui, la question de la réussite de l’élève dépend de ce qu’on attend par « réussite ». De toute évidence, pour que l’élève réussisse, il faut que l’école fasse sens. Il faut que les élèves aient envie d’y venir, qu’ils s’y sentent heureux et qu’ils comprennent ses enjeux. Il ne s’agit pas seulement des enjeux de société ou des enjeux liés à la pression familiale. Il faut que ce soit des enjeux de bonheur et de développement personnel. Or, aujourd’hui, Parcoursup et la question des affections sur Paris sont devenus des problématiques et des sources d’angoisses pour les élèves et les familles.

Par ailleurs, il faut garder en tête que le système éducatif français est très inégal et qu’il y a une ségrégation scolaire importante via la hiérarchisation des établissements. A Paris, la hiérarchie des établissements est tellement forte que les élèves et les familles ne vivent que pour cela. Notre système est aussi inégalitaire au niveau des territoires. Si on parle de réussite scolaire, le thème récurrent à Paris c’est de savoir si son enfant va pouvoir intégrer une bonne classe préparatoire alors que ce n’est pas un thème récurrent en province.

Christophe Barrand met un point d’honneur à dédramatiser tout cela. Pour lui, il faut construire un cadre rassurant pour les élèves et pour les familles, ainsi que pour les professeurs. Il faut savoir protéger ses professeurs et attendre de leur part qu’ils garantissent à leur tour la sécurité des élèves de façon à ce qu’ils se sentent détendus dans l’approche à la connaissance.

L’ancien proviseur du Lycée Turgot regrette que dans notre système la norme soit reine. Tout est normé, comme par exemple, l’affectation des chefs d’établissement. Cette affectation n’est pas dépendante d’objectifs prédéfinis et c’est d’ailleurs le cas pour toute l’administration. Les académies ne fonctionnent pas sur la base d’objectifs précis.

Opposé à ce système de pensée, Christophe Barrand expose sa méthode et son point de vue sur les leviers à utiliser pour changer les choses. Tout d’abord, en classe de seconde, il soutient que les 4h de français et de mathématiques doivent être imposées pour tout le monde, pour les privilégiés comme pour les moins privilégiés. Évidemment, cela pose la question de l’autonomie des établissements. Il considère que la norme de 35 élèves par classe ne doit plus prévaloir alors qu’on sait à quel point le confort et la performance des classes est bien meilleur avec moins d’élèves par classe.

Ce sont des paramètres sur lesquels il faut pouvoir peser et c’est le rôle du chef d’établissement de prendre ces décisions grâce à sa capacité à se fixer ses propres objectifs et à sortir du cadre imposé par l’administration. Selon lui, la réussite du Lycée Turgot s’est trouvée dans leur capacité à définir avec les professeurs un cadre rassurant pour les élèves et pour les familles, ce qui a permis de le rendre beaucoup plus attractif. Et grâce à la Loi Chatel de 2010, qui a rendu possible l’organisation de dédoublements, c’est-à-dire d’alléger les classes par niveau, une véritable opportunité s’est ouverte sur cette question. Sa décision était alors de passer de 35 élèves à 24 en classe de seconde qui est la classe charnière à l’entrée au lycée. Cette manière de gérer le lycée s’est faite en accord avec les professeurs et ce choix de drainer les moyens, d’organiser la vie de l’établissement autour de cet objectif a permis de rassurer les familles ainsi que les enseignants en leur donnant un espace de sécurité pédagogique.

Ils sont ainsi sortis du cadre de la norme pour répondre à la particularité de l’établissement avec une forte mixité sociale et scolaire. Pour lui, c’est une question de choix. Ils ont diminué les heures dans certaines des options qui existent dans les filières générales comme la danse, le grec ou le latin qui coûtent beaucoup d’heures pour recentrer sur les disciplines les plus importantes. Ils ont réduit le champ d’options, mais ont choisi le confort pédagogique pour ne pas perdre les élèves. Ils ont aussi proposé des filières d’excellence après la voie technologique, une classe préparatoire pour préparer aux concours des écoles de commerce réservée aux élèves des filières technologiques. L’idée étant de montrer que la voie technologique est aussi une voie d’excellence.

Pour Christophe Barrand, avec les crises que nous traversons actuellement, les propositions du grenelle de l’éducation sont encore trop normées. Il recommande de cibler nos actions sur les points chauds et de sortir du cadre pour faire réussir tout le monde, en prenant compte des particularités de chaque territoire. Pour cela, de nouvelles méthodes doivent être mises sur la table, notamment une affectation différente des enseignants, une revalorisation de leurs salaires et un appel à des financements extérieurs, notamment la région, le département ou les entreprises. Tout l’enjeu pour notre invité étant de faire en sorte que l’école refasse société.

Christophe Barrand est né le 1er février 1957 à Bordeaux dans une famille où les études n’ont été que tardivement un objectif mis en avant lorsque son grand frère entra en classe préparatoire scientifique à la sortie de son lycée militaire de Saint-Cyr. C’est sans doute à ce moment que la poursuite d’études dans le supérieur a pris une place pour ses parents dans l’éducation de leurs enfants. Sa relation avec l’école n’a pas été passionnée et s’est développée sans engagement fort de sa part. Il a pour habitude de dire qu’il n’a pas aimé l’école et qu’elle et lui ont partagé ce sentiment mutuel.

Sa première année de terminale a été marquée par un accident de moto ayant entrainé une hospitalisation pour traumatisme crânien sérieux accompagné de coma et de fractures diverses. Les années qui ont suivi furent des années pour le moins hésitantes sur le plan universitaire avec surtout un engagement fort dans la vie syndicale étudiante dans ce qui est devenu l’UNEF ID.

Pendant cette période de jeunesse « étudiante », il pratique plusieurs activités professionnelles en relation avec son manque de qualification ; de la distribution en passant par la livraison motorisée, expérience du bâtiment comme aide monteur chauffagiste ou la vente de volailles sur les marchés. Il en retire l’idée qu’il n’y a pas de sot métier que toutes les tâches même ingrates ont leur noblesse quand elles sont bien réalisées et utiles. Ceci lui servira dans son travail de conseil sur l’orientation auprès de mes élèves.

Il entre dans l’éducation nationale en 1985 comme instituteur. Il enseigne pendant près de dix ans dans les Yvelines (Trappes, les Mureaux, Versailles puis deux années à Paris). Il devient Conseiller Principal d’Éducation en 1994 après avoir repris des études de Lettres en cours du soir tout en demeurant instituteur. Je passe alors de la catégorie B de la fonction publique à la catégorie A (cette évolution plus catégorielle que salariale lui permettra de passer par la suite le concours de chef d’établissement).

Il sera CPE pendant sept années dans un lycée professionnel du bâtiment, le lycée Saint Lambert (école des métiers du bâtiment publique) à Paris. En 2000, Christophe Barrand intègre  sera mon entrée dans le corps des chefs d’établissement comme Adjoint en lycée professionnel industriel de 1ère catégorie puis deux années plus tard, proviseur en titre de ce lycée industriel du 12ème arrondissement et directeur d’un CFA privé de la SNCF rattaché à ce lycée.

Il est nommé en 2007 proviseur d’un lycée Technologique de 3ème catégorie dans le 14ème arrondissement avant de prendre la tête en 2013 d’un lycée polyvalent de 4ème catégorie et d’un CFA public gérant des actions de formation continues pour adultes dans le cadre d’un GRETA.

En 2014, victime d’un accident professionnel grave, il est rappelé au ministère pour faire des analyses et réactiver le dossier du livret scolaire numérique au bureau des lycées. Il y découvre les luttes intestines entre bureaux des collèges, des lycées, orientation, formations technologiques…

En 2015, à sa demande, il reprend un poste en responsabilité dans un lycée et est affecté au lycée Turgot, lycée de 4ème catégorie dans le 3ème arrondissement de Paris. Ce lycée offre des formations générales S, L et ES, une série technologique économique, des BTS informatiques et comptables, un DCG, une classe préparatoire scientifique unique PCSI, deux classes préparatoires à Normale Sup’ en droit et économique et une classe préparatoire pour entrer en école de commerce par la voie technologique.

Il aura aussi à gérer un GRETA tertiaire et à mettre en place sa fermeture contre les demandes de sa hiérarchie devant des pertes financières récurrentes de plus de 350 000 euros par an. La fermeture de ce GRETA se fera sans perte financière pour le réseau des GRETA parisiens. Fermer une structure de type entreprise privée sans laisser de dettes reste pour la direction de ce GRETA une certaine fierté. Le lycée devient en deux années l’établissement le plus demandé sur l’académie de Paris pour l’entrée en seconde car devenu attractif et sécurisant pour un public mixte scolairement et socialement.

En 2020, il décide de prendre sa retraite à 63 ans après avoir démontré que l’on pouvait par le compromis, bouger les lignes, changer l’image d’un lycée et faire réussir les élèves en les sécurisant et valorisant toutes leurs compétences.

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