Visioconférence avec Pierre Cailleteau et Thomas Lambert, Associés-gérants, Lazard Frères

Jeudi 18 mars 2021, l’Institut Aspen France et EY ont eu le plaisir d’accueillir Pierre Cailleteau et Thomas Lambert, Associés-gérants au Département de conseil aux gouvernements de la Banque Lazard Frères, pour un déjeuner géopolitique par Zoom sur le thème : « Derrière la crise sanitaire, la crise de la dette est-elle (in)évitable ? ».

Pour les deux invités, la crise du Covid-19 a indéniablement replacé la question de la dette au centre du débat à la fois dans les pays riches, comme dans les pays en développement et dans les pays émergents.

Pour Thomas Lambert, la réponse se trouve dans la diversité et la complexité des situations. De fait, un niveau très haut d’endettement public n’est pas forcément synonyme de catastrophe économique imminente. Dans l’histoire, on retrouve des niveaux de dette similaire notamment aux États-Unis après la seconde guerre mondiale. Comment s’en sortir ? A cette époque, on a utilisé l’inflation mais d’autres facteurs peuvent également avoir une incidence. Thomas Lambert cite alors quatre grandes solutions aux problématiques d’endettement :

  • L’utilisation de l’inflation
  • L’austérité budgétaire
  • La répression financière, à savoir faire payer les citoyens en taxant les épargnants
  • La renégociation de la dette

Pierre Cailleteau nous éclaire lui sur la pertinence du ratio dette/PIB. Pour lui, ce n’est pas un indicateur pertinent car il n’est pas corrélé avec le risque de défaut. De fait, certains pays font défaut sans avoir de dette. Il donne alors trois indicateurs pertinents pour mesurer la dette qui sont dans un premier temps de savoir si on peut financer la dette. Le défaut arrive quand le trader ne peut pas se refinancer. Dans un second temps, la question est de savoir si la dette est vivable (affordable). C’est selon lui l’indicateur le plus important car c’est le pourcentage alloué aux intérêts de la dette. Enfin, le dernier indicateur pertinent est celui de la trajectoire de la dette et sa soutenabilité.

Par ailleurs, l’histoire a également montré que la dette est source de conflits. La dette peut être un piège pour la souveraineté des États. Aujourd’hui, si l’on règle la dette de manière plus multilatérale, notamment grâce au FMI, celle-ci reste tout de même un enjeu géopolitique important.  La forte inégalité des pays face à la dette en est une explication.

De fait, les pays bien dotés ne remboursent pas vraiment leur dette mais ils la refinancent et dans ce processus les banques centrales sont devenues des acteurs majeurs. L’arrivée des banques centrales a changé la donne mais tous les États ne bénéficient pas du soutien des banques centrales qui sont un actif géopolitique et financier. Avoir une banque centrale qui bénéficie de décennies de crédibilité dans la préservation du pouvoir d’achat des monnaies est un réel avantage. Dès lors, pour Pierre Cailleteau, le débat sur l’annulation de la dette est un faux débat. Ce n’est ni possible ni souhaitable car cela détruirait les banques centrales. En dépit de la situation actuelle, on peut tout de même parler d’une « coïncidence heureuse » pour l’Europe. En effet, la BCE peut intervenir massivement en achetant des papiers de l’Etat et réussir à avoir une inflation autour de 2% en maintenant des intérêts très bas. Tout le sujet est de savoir si cette situation peut perdurer car c’est ça qui permet au système de tenir. La confiance dans ce système est cruciale et primordiale dans cet équilibre fragile.

Pour les pays en voie de développement, la problématique est très différente.  Il n’y a pas de banque centrale. Autrefois gérés et conseillés par le Club de Paris ou bien le FMI, les pays ayant des problématiques de dette importante sont aujourd’hui dépendant de nouveaux acteurs. C’est notamment le cas de nombreux pays asiatiques et africains vis-à-vis de la Chine.

Cependant, pour Thomas Lambert, la crise du COVID a créé un contexte où la dette est un problème davantage mis en avant, ce qui a permis de voir émerger un regain d’intérêt de la communauté internationale et donc d’accélérer les initiatives de coordination globale sur ces questions. Le G20 a notamment permis de créer un nouvel accord sous l’égide du Club de Paris et du Fond Monétaire avec l’intégration de nouveaux membres, dont la Chine. On constate que de nouveaux pays viennent alors demander des allégements de dette à la Chine, ce qu’elle a accepté.

Pour conclure, Pierre Cailleteau considère que la question de la dette ne va pas disparaitre tout de suite. C’est un sujet complexe pour lequel il n’y a pas de solution miracle. Dans tous les cas, on assiste à un changement de paradigme sur la dette des états et alors qu’auparavant le FMI voulait s’ériger comme le tribunal financier du monde, on observe qu’aujourd’hui, ce sont des solutions pragmatiques basées sur la coopération entre les différents acteurs qui sont mises en avant.

Pierre Cailleteau a approché le sujet des politiques financières sous différents angles dans sa carrière : dans le secteur public, au FMI, à la Banque des Règlements Internationaux où il a participé à la création du Conseil de Stabilité Financière, et à la Banque de France ; dans le secteur privé, chez Moody’s où il a dirigé l’activité mondiale de notation des Etats, au comité exécutif d’Amundi Asset Management et chez Lazard, dans l’activité de conseil aux gouvernements.

Normalien et énarque de la promotion Copernic, Thomas Lambert est intervenu pour une série de mandats auprès de gouvernements de la zone euro, d’Afrique, d’Amérique latine et du Moyen-Orient. Il a commencé sa carrière au Trésor, puis a rejoint la représentation permanente de la France auprès de l’Union européenne, avant de prendre la direction adjointe du cabinet de Bruno Le Maire, en 2009, alors ministre des Affaires européennes. Thomas Thomas Lambert a rejoint l’équipe de conseil souverain de Lazard en 2011. Il est associé gérant depuis 2017. Depuis 2016, le banquier-conseil est enseignant à Sciences Po.

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