Visioconférence avec Gilles Kepel, Politologue, Professeur, Sciences Po, Directeur de la chaire Moyen-Orient Méditerranée, ENS/PSL

Vendredi 12 juin 2020, l’Institut Aspen France et EY ont eu le plaisir d’accueillir Gilles Kepel, Professeur à Sciences Po et l’Université Paris Sciences Lettres et Directeur de la chaire Moyen-Orient Méditerranée à l’ENS/PSL, lors d’une visioconférence sur le thème « Quelles conséquences géopolitiques de la crise du Covid-19 ? Analyse et perspectives d’évolution ». Un peu oubliée pendant la crise du Covid-19, la situation au Moyen-Orient n’en est pas moins sujette à de très fortes évolutions.

La question du pétrole fut la première abordée. Le 20 avril, le prix du brut américain s’est négocié à -38,94 USD : les vendeurs ont payé pour se débarrasser de leurs stocks. La chambre de commerce de Dubaï prévoit une fermeture de 70% des entreprises émiraties dans les six prochains mois. La crise, déjà profonde, pourrait être encore aggravée par une diminution de la demande future. La perspective d’une Europe, qui, ayant fait les frais de l’étirement géographique de sa supply chain, déciderait de sa relocalisation dans son voisinage direct, aurait par exemple pour conséquence une baisse sensible du transport maritime, qui représente plus de 5% de la consommation mondiale de pétrole. Après avoir longtemps reposées sur la richesse de leurs sols, l’urgence est donc pour les économies rentières de se réinventer.

La question de la sécurité européenne a ensuite été au cœur des interrogations, et l’émergence d’une politique commune de nouveau mise sur la table. Un des enjeux auquel devra peut-être faire face l’Europe est l’afflux massif de réfugiés économiques, en conséquence de la crise précédemment évoquée. La Turquie, alors principale porte d’entrée sur l’Europe, tient aujourd’hui des positions jugées peu fiables : parmi les exemples cités, il y eut l’achat de missiles S400 à la Russie en 2019. La Turquie devient alors premier pays de l’OTAN à acheter du matériel militaire russe. Elle en a repoussé l’armement sur ses avions afin de ne pas provoquer l’ire des États-Unis, alors que son économie est durement touchée par la pandémie. Face à cette instabilité, comment l’Europe peut-elle se prémunir de l’ouverture des frontières avec la Grèce, dont la maîtrise est un véritable levier stratégique, auquel la Turquie n’a pas hésité à avoir recours par le passé ?

L’interdiction du pèlerinage à la Mecque, cinquième pilier de l’Islam, l’isolement de l’Iran, elle aussi fortement impactée par la pandémie, les relations entre pays arabes, et les conditions d’un redéploiement de l’Europe sur la rive sud de la méditerranée, sont des points qui ont été abordés au cours de cette vidéoconférence, et dont Gilles Kepel a mis en lumière leurs imbrications.

 

 

Gilles KEPEL (né le 30 juin 1955) est un politologue français, arabisant, spécialiste du monde arabe contemporain et de l’Islam en Occident. Professeur à l’Université Paris-Sciences et Lettres (PSL), Gilles Kepel dirige la Chaire Moyen-Orient Méditerranée à l’Ecole Normale Supérieure (ENS ULM).

Ayant d’abord suivi une formation classique, il commence à apprendre l’arabe au Moyen-Orient en 1974. Diplômé de Philosophie et d’Anglais, il termine sa formation d’arabisant à l’Institut Français de Damas en 1978, et est diplômé de Sciences Po en 1980. Gilles Kepel se spécialise dans les mouvements islamistes contemporains, et séjourne trois ans au Centre d’études et de documentation économiques, juridiques et sociales (CE- DEJ) en Egypte, où il mène les enquêtes de terrain pour son doctorat. Soutenue en 1983, sa thèse porte sur les mouvements islamistes en Egypte, et mène à la publication de son premier livre Le Prophète et le Pharaon. Il s’agit du premier ouvrage analysant l’islamisme militant contemporain, et constitue encore aujourd’hui une référence universitaire mondiale.

Après son retour en France, où il devient chercheur au CNRS, Gilles Kepel effectue des enquêtes sur le développement de l’Islam en France et publie Banlieues de l’Islam. Il publie en 1991 La Revanche de Dieu (traduit en 19 langues), qui constitue une étude comparée des mouvements politico-religieux émanant du judaïsme, de l’islam et du christianisme.

Il est nommé Professeur Associé à l’Université de New York en 1993, et effectue des en-quêtes de terrain sur les populations afro-américaines musulmanes aux Etats-Unis, avant de publier « Allah in the West » en 1996. Il reçoit son Habilitation à Diriger des Recherches en 1993. Gilles Kepel est nommé Directeur de Recherches au CNRS en 1995, puis professeur associé à Columbia et l’Université de New York où il prépare son livre Jihad, une étude globale du monde musulman, de l’Indonésie à l’Afrique (traduit en 12 langues).

En 2001, il est nommé Professeur de Sciences Politiques à Sciences Po, où il fonde le Campus Moyen-Orient Méditerranée, ainsi que le Forum EuroGolfe. Gilles Kepel est nommé Membre Senior de l’Institut universitaire de France pendant cinq ans (2010-2015). Il est également nommé professeur invité à la London School of Economics en 2009-2010.

En 2012, il publie Banlieue de la République, une enquête sur les émeutes des banlieues françaises de 2005. Cette enquête fut réalisée à travers une observation participante d’un an sur le terrain, avec une équipe d’étudiants, en coopération avec l’Institut Montaigne.

En 2013, il décrit les révolutions arabes à travers l’ouvrage Passion Arabe (Prix Pétrarque de France Culture, « Meilleur livre de l’année » selon le journal Le Monde).

En 2014, il publie Passion Française, une enquête analysant la première génération de candidats issus de l’immigration musulmane aux élections législatives, principalement à Roubaix et à Marseille. Il s’agit du troisième livre de la tétralogie de Gilles Kepel, qui se termine avec Terreur dans l’Hexagone en 2015, mettant en perspective les attentats jihadistes en France. La publication de ce Best-Seller fait de Gilles Kepel une figure intellectuelle majeure, mais aussi une cible des jihadistes.

En 2016, il publie La Fracture, basé sur des chroniques radios effectuées sur France Culture entre 2015 et 2016, analysant l’impact du jihadisme au moment de la multiplication des attentats sur le sol français et européen. Il met ces évènements en perspective avec la montée des partis d’extrême droite en Europe.

Il dirige le séminaire mensuel « Violence & Dogmes : Territoires et représentations de l’islam contemporain », et professe le cours « Le Proche et le Moyen-Orient contemporains depuis les soulèvements arabes » destiné à l’ensemble des étudiants de PSL.

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