Visioconférence avec Abduqawi Yusuf

Abulqawi Yusuf est juge, ancien Président de la Cour Internationale de Justice. L’Institut Aspen le recevait le 25 mai pour une réunion centrée sur le thème :

« Le Droit international peut-il sauver les fondements de la Coopération Internationale ? »


La violation d’une règle internationale par un pays relativement puissant amène généralement les gens à exprimer leur scepticisme à l’égard de l’ensemble de l’ordre juridique et à douter de son intégrité, de sa vitalité et de sa capacité à être appliqué. Un tel scepticisme n’est presque jamais observé lorsqu’il s’agit d’ordres municipaux ou nationaux. Deux facteurs principaux expliquent cela : 1) L’ordre juridique international et la règle de droit en tant que règle universelle acceptée et appliquée par toutes les nations du monde sont un phénomène récent qui trouve son origine à la fin de la Seconde Guerre mondiale et ne s’est pas encore complètement enraciné dans la conscience de l’humanité ; 2) L’identification dans l’esprit des gens que le droit international ne régit que les relations interétatiques.

En ce qui concerne la nouveauté du système international, il est indéniable que les populations nées après la seconde guerre mondiale ont pour la plupart vécu en paix sans connaître d’autre état d’ordre international. L’adoption de la Charte des Nations unies en 1945 a marqué un changement fondamental dans la manière de structurer les relations humaines, par l’instauration d’un état de droit universel fondé sur le règlement pacifique des différends, l’égalité des droits et l’autodétermination des peuples, le respect de bonne foi des obligations internationales et l’interdiction du recours à la force. Cette notion n’était pas une décision soudaine ou abrupte : elle découlait de la résolution selon laquelle l’ancien système qui avait rendu la guerre possible était non seulement barbare et brutal, mais aussi fondamentalement injuste.

Deuxièmement, l’incarnation du droit international au sein de l’ONU s’est faite parallèlement non seulement à la réglementation des relations interétatiques, mais aussi à la mise en œuvre de nombreuses nouvelles lois ayant un impact direct sur la vie quotidienne des gens : aviation, normes de travail, droit humanitaire, droit de l’environnement et protection de la diversité biologique… L’ancien modèle de coexistence des États consistant en une simple juxtaposition de souverainetés a été remplacé par un ensemble commun de règles et de valeurs partagées qui a donné naissance au droit international.

Le droit international ne cesse de s’étendre pour englober des domaines plus vastes. Ainsi, la plupart des pays qui saisissent la Cour sont issus de ce que l’on appelait autrefois le « tiers monde ». Avant que le droit international ne soit clairement formulé, le droit à l’autodétermination et à la décolonisation n’était reconnu que politiquement, et n’entraînait donc pas de changement considérable. Mais cela a changé lorsque le droit international a été (re)défini au lendemain de la Seconde Guerre mondiale.

Enfin, il est important de se rappeler que la violation d’une règle ne fait pas s’effondrer l’ensemble du système, surtout aujourd’hui. L’homme d’État et juriste romain Cicéron (106 – 43 av. J.-C.) a dit à propos du droit et de la guerre : en temps de guerre, le droit se tait. Cette citation n’est plus valable aujourd’hui, grâce à la Charte de l’ONU. Le droit ne reste plus muet au milieu de la guerre. L’Ukraine a saisi la Cour et des mesures provisoires de protection ont été prises presque immédiatement. Dans une résolution adoptée en mars 2022, l’Assemblée générale a déclaré illégale l’invasion russe et, plus récemment, le procureur de la Cour a annoncé avoir déjà lancé une enquête sur de potentiels crimes de guerre et crimes contre l’humanité en Ukraine.

 

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