Rencontre avec Bruno Tertrais

Dandizan, 10 décembre 2008

Rencontre avec Bruno Tertrais, Maître de recherche, Fondation pour la Recherche Stratégique

Quels sont les principaux risques susceptibles de menacer, à horizon de dix ans, la sécurité de l’Union européenne ? A cette question, Bruno Tertrais répond en énumérant une série de risques qu’il estime certains, mais aussi en écartant d’autres menaces, souvent citées mais qui lui semblent irréalistes.

Les risques certains – des menaces qui se matérialiseront probablement d’ici dix ans

  1. Le jihadisme. Des mouvements violents, se réclamant de l’islam, continueront à perpétrer des attaques terroristes sur le territoire européen – leur hostilité se justifiant moins par ce que fait l’Europe (ou tel de ses membres) que par ce qu’elle représente. Faut-il craindre une escalade dans les formes de violence ? A horizon dix ans, probablement pas de terrorisme nucléaire ou bactériologique ; en revanche du terrorisme radiologique ou des bombes chimiques à petite échelle sont possibles.im2
  2. L’Iran. Ce pays est partie prenante de toute une série de problèmes ou de conflits susceptibles de dégénérer : l’accès au nucléaire, le soutien au terrorisme international, les enjeux énergétiques, la question israélo-palestinienne. Ceci se combine avec une vraie volonté de puissance et une capacité très limitée du régime actuel à se réformer.
  3. La Russie. Un pays traversé de pulsions nationalistes, soucieux d’affirmer sa puissance sur son voisinage (les ex-républiques soviétiques). Le risque majeur n’est ni un conflit armé de grande ampleur, la Russie n’en ayant pas les moyens au-delà d’une attaque ciblée comme en Géorgie à l’été 2008 ; ni l’utilisation de l’arme énergétique vis-à-vis de l’Europe, la Russie ayant besoin, pour son gaz et son pétrole, de clients fiables et solvables (tout autant que l’Europe a besoin de l’énergie russe). En revanche des attaques informatiques (cf. cyber-attaques récentes contre l’Estonie) sont des formes d’action possibles.
  4. Les trafics illicites et le crime organisé. Le dégel des Balkans et l’éclatement de l’Union soviétique ont entraîné un surcroît spectaculaire de flux illicites (stupéfiants, armes à feux, blanchiment, trafic d’êtres humains) dont on ne voit pas aujourd’hui les perspectives de ralentissement.
  5. Le risque biologique naturel. Epidémies virales ou bactériologiques (type grippe aviaire ou SRAS).

A ces risques directs s’ajoutent des risques indirects, i.e. des phénomènes qui ne touchent pas directement l’Union européenne mais, survenant dans son environnement, peuvent perturber sa stabilité ou sa prospérité. Ce sont principalement l’hypothèse d’un effondrement de pays proches (par exemple le Maroc passant sous contrôle d’un islam fondamentaliste) ou d’un conflit de grande ampleur en Asie.

Les risques fantasmatiques – des menaces dont on parle beaucoup mais qui ne se matérialiseront probablement pas d’ici dix ans

  1. Le risque nucléaire. Probabilité d’occurrence très faible.
  2. Une menace militaire majeure. Aucun des pays voisins de l’Europe n’est aujourd’hui en mesure d’entreprendre une attaque militaire de grande ampleur contre le territoire européen.
  3. La guerre pour l’eau. L’eau est certes un élément présent dans de nombreux conflits frontaliers, mais pas au point de déclencher un conflit militaire.
  4. Les menaces issues du changement climatique. Même observation que ci-dessus : les effets du changement climatique (désertification ou inondation provoquant des migrations par exemple) pourront être un élément de conflits futurs, mais pas la cause directe. Notons que ces phénomènes ont toujours existé dans l’histoire et ne constituent en rien une nouveauté.

Pour autant, on n’est jamais à l’abri d’une surprise stratégique. De telles surprises (la chute du Mur de Berlin en moins de six mois, l’effondrement de l’URSS, les attentats du 11 septembre) ne sont généralement pas des scénarios imprévus ; ce sont plutôt des scénarios qui avaient été imaginés mais écartés car jugés non crédibles.

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