RENCONTRE AVEC AUGUSTIN DE ROMANET

Résumé du dîner du club QQFM avec M. Augustin de Romanet, ancien Directeur de la Caisse des Dépôts et Consignations, le 5 avril 2012, à Paris. Dans le cadre du thème annuel du club (« le temps long et l’action »).

 La rencontre a eu lieu le jour de la sortie en librairie du livre d’Augustin de Romanet : Non aux 30 douloureuses(Plon, avril 2012).

En période de paix, les responsables politiques ne sont pas sélectionnés sur leurs qualités de courage mais sur leurs qualités rhétoriques et de séduction. Selon Strauss et Howe, The fourth turning, an American prophecy (Broadway Books, 1997), chaque génération est façonnée par l’époque au cours de laquelle elle grandit et développe des tempéraments différents.

Quatre générations coexistent et traversent un cycle, composé de quatre phases successives :

- Le « Haut », qui succède à une crise, est caractérisé par des valeurs morales fortes, notamment de solidarité. En France, 1946-1964 est typiquement une période de « Haut ».

- « l’Eveil », période d’euphorie qui survient lorsque ce nouvel ordre civique est bousculé par de nouvelles valeurs ; l’individualisme se développe. Ex. : 1965-1985.

- « l’Effilochage », phase d’abattement, d’anxiété, d’individualisme et de perte de repères. Les nouvelles valeurs se diffusent dans la société. Ex : 1985 – 2005.

- « La Crise », période de bouleversement social, lorsque le régime de nouvelles valeurs impose le remplacement de l’ancien ordre civique par un nouvel ordre. 2005 – …2025 ?

La crise que nous traversons actuellement est notamment caractérisée par une crise de la dette publique, une crise de la dépense publique et une crise financière. En 1960, le taux de dépenses publiques s’élevait à 30% du PIB : il a augmenté de 27 points en un demi-siècle !

L’abandon de la convertibilité or du dollar papier en 1971 a engendré une inflation de création monétaire (planche à billets + produits dérivés), créant une énorme bulle de liquidités.

Notre situation est comparable à celle d’une copropriété. Pendant les 30 Glorieuses, on a construit l’immeuble et embauché une gardienne. Les 30 Piteuses – selon l’expression de N. Baverez – qui les ont suivies ont vu la copropriété arrêter d’entretenir l’immeuble et l’ascenseur, et on a dû s’endetter pour payer la gardienne. Les 30 douloureuses vont se traduire par la nécessité de rénover l’immeuble sous peine d’effondrement et de payer les dettes contractées – et la gardienne a dû être licenciée.

Pour éviter les 30 Douloureuses, quatre chantiers sont indispensables :

1. Retrouver une vision politique à 20 ans, avec un Etat stratège ; 2. Conduire une réelle politique de ressources humaines au niveau de l’Etat et moderniser la gestion publique ; 3. Remettre la finance au service de l’économie et du long-terme ; 4. Apprivoiser la mondialisation.

Quelques éléments notés dans les Questions/Réponses :

- Le changement climatique, qui devrait être une préoccupation constante, est devenu une variable d’ajustement… Exemple de la filière photovoltaïque : on crée un effet d’aubaine très fort, puis constatant les excès, il y a un « rétropédalage » aussi excessif, qui risque fort de tuer la filière. Cet exemple illustre le manque de vision à long terme de l’Etat : le Premier Ministre devrait chaque année présenter au Parlement sa vision stratégique à 20 ans…

- Comment rapprocher les décideurs économiques et les responsables politiques ? Les dirigeants économiques et les responsables politiques se méprisent mutuellement. Le problème est que les fonctionnaires ne sont pas suffisamment payés : le fonctionnaire le mieux payé l’est au même niveau qu’un directeur régional de Bouygues !

- La Caisse des Dépôts gère le Livret A (200 milliards d’euros, soit plus que le PIB du Portugal). Le FSI est de 20 milliards d’euros. Le fonds de réserve des retraites s’élève à 33 milliards d’euros, la gestion de ses fonds a été confiée à Blackrock et à d’autres fonds américains… Aujourd’hui, le livret A peut prêter 1,5 milliards d’euros au FSI. La question de l’emploi des fonds du livret A mérite d’être posée : doit-il être cantonné au seul financement du logement social et des dettes de l’Etat ? Le Livret A est un outil extraordinaire à la disposition de l’Etat. Il reste géré à 65% par la Caisse des Dépôts, afin que celle-ci conserve le même en-cours de gestion. L’Etat fait l’usage qu’il veut de son argent, il lui faut simplement se souvenir que c’est « le sien ». Voir l’article de Libération sur le « combat » de la Caisse des Dépôts contre le lobby bancaire.

- Quelle vision et quel avenir pour le modèle de la Caisse des Dépôts ? La Caisse a beaucoup de privilèges : comptes des professions juridiques, livret A, … Elle est également privilégiée car elle a une assiette très large et des directeurs compétents. Elle doit se penser comme une intendante, et il est important de ne pas créer de distorsion de marché en usant de ces privilèges.

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