Peut-on dire que la victoire de Donald Trump a libéré le jaillissement des populismes ailleurs dans le monde ?

Je n’aurais pas écrit ce livre, « Fascisme, un avertissement » si je n’avais pas noté l’émergence de plus en plus de fractures dans les sociétés ces temps-ci. C’est évident au Royaume-Uni avec le « Brexit », mais aussi dans d’autres pays d’Europe  ou aux Philippines . C’est pourquoi j’ai voulu me pencher sur les racines historiques du fascisme, la montée en puissance de Mussolini… Il y a un risque de résurgence lié à ces fractures. La différence est que Mussolini et Hitler ont pris le pouvoir par voie constitutionnelle. En Turquie, Hongrie ou aux Philippines, il y a eu des élections. Je ne qualifie pas Donald Trump de fasciste, mais je dis qu’il y a des étapes qui conduisent au fascisme, au non-respect des institutions démocratiques ou au dénigrement de la presse en la qualifiant d’« ennemi du peuple », l’utilisation de la propagande. La meilleure citation est de Mussolini lui-même : « Si vous plumez un poulet, plume par plume, les gens ne s’en aperçoivent pas ».

Pensez-vous que l’échec d’une politique européenne d’immigration ait été un facteur clef dans le succès des mouvements populistes au Royaume-Uni et en Italie ?

Une des caractéristiques du fascisme est toujours de chercher un bouc émissaire. On invoque facilement les craintes pour l’emploi. Je pense que l’Union européenne a été surprise et dépassée par l’ampleur du phénomène migratoire et les règles de Schengen. Il y a eu un manque de préparation de l’Europe sur l’immigration. C’est pourquoi les pays membres ont pris des décisions unilatérales : certains  comme l’Allemagne ont accueilli les réfugiés et d’autres ont  construit des barrières comme la Hongrie . Il y a eu de nombreuses défaillances dans le système, alors même que ces réfugiés avaient pris des risques énormes en mettant leurs vies en danger pour quitter leurs pays. Pour autant, nous devons reconnaître qu’il n’y a pas vraiment une alarme ou une crise migratoire en Europe et que c’est un phénomène durable. L’Union européenne doit trouver un système approprié, même si c’est très difficile.

Que pensez-vous de la nouvelle coalition populiste souverainiste au pouvoir en Italie ?

C’est le résultat de ces fractures. Les électeurs cherchent des réponses simples et les leaders se construisent sur l’exploitation des divisions plutôt que sur la recherche de solutions. Je suis préoccupée par les  déclarations du ministre de l’Intérieur, Matteo Salvini.

Êtes-vous inquiète de la dégradation de la relation transatlantique depuis le « Brexit » et l’élection de Donald Trump ?

Oui je suis préoccupée. Les Britanniques ont souvent joué le rôle de passerelle entre l’Union européenne et l’Amérique dont les relations ont toujours été compliquées. Avec le « Brexit », cela rend les choses plus difficiles. Je suis née en Tchécoslovaquie. Je me vois un peu moi-même comme une incarnation de la relation transatlantique. Nous avons parfois un peu romancé la « relation spéciale » entre l’Europe et les Etats-Unis. Mais je suis préoccupée maintenant par l’évolution de nos relations, spécialement après ce qui s’est produit au G7. Je n’aime pas la tournure des derniers événements. Je crois que la solidité de nos valeurs est basée sur une relation forte entre l’Europe et les Etats-Unis depuis la Guerre Froide.

Quelle est à vos yeux la principale réussite de Donald Trump en termes diplomatiques ? L’accord avec la Corée du nord ?

On ne peut pas savoir à ce stade. Je crois dans les vertus de la diplomatie. Mais c’est très dur de se prononcer sur la suite. Jusqu’ici,  Kim Jong-un est le grand gagnant avec la suspension des exercices. Mais il va falloir vérifier la suite : il y a beaucoup de travail notamment sur la définition de « dénucléarisation ». Ce n’est pas facile pour une ancienne diplomate comme moi de critiquer le président en exercice, mais je dois dire que tout ce qu’a fait Donald Trump en sortant de l’accord sur le climat ou de l’accord de Vienne sur le nucléaire iranien (JCPoA) n’a pas contribué à renforcer la relation transatlantique.

Pensez-vous que la guerre commerciale lancée par Donald Trump risque de déclencher une récession ?

Je ne sais pas. Mais le marché a clairement réagi ces derniers jours. Je pense que le Congrès devrait examiner les effets imprévus de l’usage du Trade Expansion Act (NDLR : section 232) par le président. J’ai été très surprise par  la réaction de Harley-Davidson de délocaliser une partie de sa production et c’est seulement un exemple.