Belles Feuilles avec la philosophe Monique Canto-Sperber

Qu’est ce que la liberté d’expression ? Comment se porte la parole publique en France ? Tentatives de réponse avec la philosophe Monique Canto-Sperber, qui nous a présenté son livre Sauver la liberté d’expression (Albin Michel, 2021).

Aux origines

Si des formes de liberté de parler se manifestent dès l’Antiquité, notamment sous l’influence de la démocratie athénienne qui accorde une place centrale au logos (« parole », « discours »), c’est entre le XVIIème siècle et la fin du XVIIIème siècle que le concept moderne de liberté d’expression voit le jour. Certains textes juridiques fondateurs, tels que le Bill of Rights, en vigueur dès 1689 en Angleterre, sanctuarisent déjà certains principes indissociables de la liberté d’expression, comme le droit d’interpeller le pouvoir politique, de débattre et de se constituer en groupes de parole.

Entre laisser-faire et autocensure : un équilibre précaire

Cependant, dès sa conception, la liberté d’expression n’a jamais été envisagée comme absolue. De fait, comme le souligne Canto-Sperber, la grande majorité des pays libéraux imposent des limites à la parole publique. Peu nombreuses, ces limites constituent un corpus commun universel, et se rapportent à certains types de discours ou de contenus portant atteinte à la dignité humaine (haine raciale, diffamation, injure, ou encore négationnisme). Ainsi, la question ne se pose pas en termes binaires : restreindre ou laisser libre cours à la liberté d’expression. Bien au contraire, il s’agit de (re)trouver le fragile point d’équilibre entre le respect de l’individu (et des minorités) et la contradiction, entre la préservation de la dignité humaine et la possibilité d’introduire le débat, indispensable à la démocratie.

Face à la multiplication des plateformes virtuelles qui, en raison de l’anonymat, constituent bien souvent des points aveugles pour le législateur, et la montée des radicalités, comment repenser la liberté d’expression et en faire à nouveau une arme au service du projet démocratique ? Comment redonner vie au « bel idéal de la liberté de parler » qui a accompagné le développement de la communauté politique occidentale ?